Le Radelage ou Flottage du Bois ( 2 )

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Les Radeleurs et le gave d'Oloron

C'est entre mars et juillet, alors que la neige fond et que les eaux sont gonflées de cet apport, que les radeleurs sont le plus exposés dans la pratique de leur dangereux métier. Certaines années, ils conduisent jusqu'à 300 radeaux jusqu'à la "fosse aux mâts" de Bayonne. Et trois mille hommes travaillent à Issaux entre 1772 et 1778.

L'équipage de chaque radeau a un patron et des radeleurs en nombre variable. Rattachés à la Marine, faisant les classes, les radeleurs dans les débuts, se recrutaient essentiellement dans le Comminges et le Cousseran. Aux environs des sources de la Garonne, également. Ils sont engagés pour mener les radeaux du port d'Athas à Navarrenx. Le trajet de huit lieues (20 km) est périlleux. Ils reviennent à Athas en deux jours. À pied.

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Navarrenx et le vieux pont sur le Gave d'Oloron

Les habitants de Navarrenx auxquels ils passent le relais, deviendront de bons radeleurs. Ils conduisent les radeaux jusqu'à Peyrehorade, à huit autres lieues en aval. Sur cette partie du parcours, six hommes sont nécessaires par radeau de grande mâture. Ils touchent 20 livres par radeau. Jusqu'à Peyrehorade, le flottage est très difficile: lit étroit, pentes fortes, fonds de roches et galets, débits torrentueux et obstacles nombreux de bancs de sable, de passelis et de nasses en particulier.

Les radeaux s'y échouent souvent, se mettent en travers, se brisent quelquefois, entraînant le naufrage des radeleurs et la perte des bois. Les inspecteurs de la Royale enjoignent aux seigneurs qui ont des nasses sur la rivière, d'ouvrir un passage suffisant pour faciliter la flottaison.

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Au Pays Basque espagnol, la tradition du radelage perdure et devient fête. Ph. J. P. Zimmer

 

L'Intendant d'Étigny prend des mesures de protection: "défense de prendre aucune pièce de bois […] soit mâts, matériaux, pièces equarries, planches, rames que la rivière aura entraîné sur les bords, les rochers ou les nasses." En poursuivant la lecture de la lettre qu'il écrit lors de l'escale du 15 août 1763, à peyrehorade: "Je suis arrivé ici, mon cher Morancin, il y a une demi-heure […] Nous ne serons, demain à Bayonne, qu'à 9 heures du matin pour le plus tôt et 11 heures pour le plus tard. Cela dépendra de l'eau." La Gazette de France relata l'évènement !

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Antoine d'Étigny, Intendant d'Auch et de Pau - D'après photo OT de Bagnères de Luchon

 

Les trains de radeaux se forment donc, et passé la nasse du vicomte, à la pointe de son château, la navigation est moins difficile, même s'il faut une grande adresse pour louvoyer entre les îles. Le lit est plus large, le flot moins tumultueux. Néanmoins certaines années, il y a beaucoup de pertes. De l'automne 1764 au mois d'avil 1765, sur 2000 fûts abattus, un cent seulement parviendra à destination ! Tout ne se passe donc pas aussi bien que le voyage d'Étigny. Les radeleurs, s'ils doivent craindre les pièges de l'eau, sont aussi victimes de la cupidité des voleurs.

En période de disette, au cœur de l'hiver, la tentation était grande de se procurer du bois aussi facilement et à bon marché. Ce genre d'incidents se produisait tout au long du parcours.

Les Chemins de Mâture

Il apparaissait particulièrement intéressant d'intégrer ici un très bel article de Pierre TERRIÈRE publié dans la revue "Le Chasse-Marée" de 1985.

Le Radelage sur le Gave de Pau

L'utilisation du Gave de Pau pour le radelage s'avéra beaucoup plus difficile et fut donc abandonnée plus tôt. Tous les écueils se retrouvaient ici: un niveau variant très souvent, des changements fréquents de cours, des îles nombreuses, des défilés étroits, du gravier, du sable, des rochers… De plus, l'homme y avait placé des obstacles artificiels, des "pachères" (digues ou barrage destinés à faire monter le niveau des eaux pour les diriger vers un moulin), des passelis souvent obturés par des piquets et des fascines, des nasses barrant la rivière pour capturer le poisson et des "baros" (tourniquet à filets pour piéger les saumons - voir pages "pêche" et Sorde l'Abbaye). Il ne pouvait être rendu navigable qu'au prix de travaux considérables.

Un homme pourtant, eut l'audace de les entreprendre, sur ses propres deniers. C'était en 1630 et Isaac de Lom d'Arce, baron de Lahontan y consacra dix-huit années d'efforts et l'essentiel de sa fortune. Risquant plusieurs fois sa vie dans les reconnaissances qu'il effectua le long du Gave, il fit sauter des obstacles naturels, rectifia les rives. Il en récolta d'innombrables procès avec les propriétaires riverains. On alla jusqu'à lui voler ses bateaux. Mais il obtint du Parlement de Pau, de faire ouvrir les nasses et de réer des décharges dans les passelis nécessaires.

Dans un troisième Arrêt de 1649, le Parlement enjoignit aux communes de "couper et ôter les arbres et buissons qui pourraient empêcher qu'en remontant, les bateaux, les hommes et les chevaux les puissent tirer facilement.". Il nettoya ainsi les rives, traçant les chemins de halage indispensables.

 

Les ardoises de Saint Pé

En 1648, les Bayonnais avaient vu, avec ahurissement, aborder dans leur port, trois bateaux chargés d'ardoises, conduits par 50 hommes venus de plus de 22 lieues en amont, de St Pé de Bigorre ! En 1658, la route fluviale était ouverte au flottage. Le fils du Baron de Lahontan, des années plus tard, dans une lettre au marquis de Seignelay, le fils de Colbert, précisera: "[…] La seconde utilité que le roi et la province retirent des travaux de mon père consiste en la descente de mâts et vergues des Pyrénées, que nul autre que lui n'aurait jamais entrepris et qui aurait infailliblement échoué si, par ses soins et des sommes immenses, il n'eut durablement, grossi les eaux du Gave d'Oloron."
Le flottage sur le gave de pau n'eut jamais l'importance de celui du gave d'Oloron. Les officiers du Parlement de Navarre, par négligence, n'avaient pasveillé à l'exécution des décrets de ce même Parlement et de ceux du Conseil du Roi.

 

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Sur la Gave de Pau, à St Cricq du Gave - Gouache de H. de Chalus (détail), début XIXe siècle

 

Se plaindre au Roi

En 1729, M. de Touros, ingénieur militaire, fut chargé par l'intendant de la Généralité d'Auch de remonter le Gave, de Peyrehorade à Lourdes. "Dans sa partie haute, le Gave de Pau n'est ni navigable ni flottable." Son rapport remis au Parlement de Navarre fait, qu'en 1732, Antoine Maucris, ingénieur du roi, est chargé de visiter les nasses du Gave. Celle du Port de Tilh appartient aux Bénédictins de Sorde. "Elle n'a pas de passelis pour le passage des bateaux et des radeaux." Comme les plaintes au roi se multiplient, Sa Majesté, en 1736 "fait défense à tous les propriétaires de moulins, digues, pessières et nasses, meuniers et pêcheurs […] de planter, ni faire planter aucuns piquets, pieux et paulx ou pilotis, ni autres choses semblable dans aucuns endroits des rivières". Et il ordonne que ce règlement soit fait pour les rivières flottables et navigables, "ou [celles qui] pourront le devenir par les travaux  qui y seront faits […]".

 

Un canal de Lourdes à Peyrehorade !

De 1779 à 1782, Georges d'Alband, syndic de la navigation de la Généralité d'Auch et Département de Pau, entreprend des travaux colossaux, de Peyrehorade à Castetarbe. Il nettoie et rectifie le cours du gave, consolide les berges, retrouve les chemins de halage ébauchés par Lom d'Arce un siècle avant, les restaure. Les radeaux passent mais le radelage sur le Gave de Pau n'eut jamais l'importance de celui du Gave d'Oloron. Il continua néanmoins jusqu'en  1795. Cette année-là, les radeleurs furent chargés de conduire à Bayonne, les radeaux en bois nécessaires à la remise en état du pont de Saint Esprit. La seule solution, disait Flamichon (géographe qui avait fait ouvrir le canal d'alimentation de la Forge de Béon, dans la plaine d'Ossau), impliquait la construction d'un canal de Lourdes à peyrehorade. Un projet fut dressé en 1839 par Gallabert, mais il tomba très vite… à l'eau !

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À Bellocq, au pied des ruines du château de Jeanne d'Albret, le Gave de Pau

 

Auparavant, en 1775, de Pilles, seigneur de Bellocq, avait repris les travaux de Lom d'Arce. Cela avait entraîné une navigation intense entre Bellocq et Peyrehorade, mais pour le transport par bateaux cette fois, des vins, des grains et des salaisons. En fait, le trafic sur le Gave de Pau déclinera considérablement avant 1866. Le flottage sur le Gave d'Oloron s'avèrait somme toute, plus facile. Le Gave de Pau sera surtout utilisé pour le commerce et le transport des vins, des grains et des salaisons, principalement à partir de Bellocq.

Le Radelage sur l'Adour

En 1833, un document à la signature illisible, déposé aux Archives des Landes affirme que "La France est pour sa marine, dans la dépendance des puissances du Nord. Le seul pin de Riga [en Lettonie] donne une belle mâture qui est indispensable pour l'armement des vaisseaux." Comme les prix en étaient exorbitants au XVIIIe siècle, François Batbedat naturalisa dans les landes le pin de Riga. Il en sema les graines dans la commune de Garosse. En réalité, les chantiers navals de Bayonne achetaient du pin dans nos Landes, bien avant Batbedat, Brémontier ou Chambrelent. Colbert, au XVIIe siècle, prônait déjà une politique d'autarcie pour le bois.

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L'exploitation des bois landais fut bien plus facile que celle des forêts pyrénéennes. La topographie des lieux de coupe facilitait l'abattage et aussi le charroi vers les ports.

 

Le transport par la voie fluviale présentait quelques difficultés communes aux autres voies : digues des moulins, atterrissements, nasses, tourbillons. Mais la descente de l'Adour était bien moins périlleuse que celle de ses affluents.

Les forêts exploitées au-delà de Dax, sont toutes situées à moins de quinze kilomètres du port principal.
Les coupes se font à Saint Yaguen, Meilhan, Ponson, Bégaar, Pontonx.

Les billes sont acheminées par "curts" (chars à quatre roues) ou à l'aide de "diables" tirés par des mules.

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Les bûcherons devenus radeleurs confectionnent des radeaux qui nécessitent de 24 à 27 fûts. Faits de deux ou trois parties, ils sont ensuite conduits par quatre radeleurs qui manient des avirons de sept mètres de long. Sur le radeau, ils ont dressé une fragile cabane couverte de toile qui leur sert d'abri.

Le voyage dure de trois à huit jours, quelquefois plus longtemps si le temps se gâte.
À partir de Tartas, la descente jusqu'à Bayonne est longue de 102 kilomètres et se fait en quatre étapes. La première les voit arriver à Dax. Là, il faut manœuvrer pour éviter les nombreuses gabarres et les bancs de sable. L'équipe des radeleurs se sépare là. Deux vont continuer à descendre le train de bois et les deux autres remontent à pied à Tartas préparer le convoi suivant.

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La deuxième étape les conduit à Port de Lanne, où l'on va dormir et attendre la marée descendante suivante. Sur les 29 km de ce parcours, des "épis" ont été construits pour canaliser le lit du fleuve. ce sont des obstacles faciles à éviter. Le seul endroit critique se situe en amont du pont de Saubusse où des tourbillons se forment à la fin de l'hiver. Il faut être attentif à la manœuvre. On repart de Port de Lanne pour aller jusqu'à l'étape suivant d'Urcuit où l'on peut se restaurer dans les auberges de la rive gauche. Avant, il aurra fallu être attentif au passage du pont de pierre et à la confluence avec les gaves au Bec du Gave où les affluents sont souvent fougueux et par où arrivent aussi d'autres radeaux de bois. À Urcuit, un pilote attend les équipages pour convoyer les radeaux jusqu'à Bayonne, l'ultime étape. Le dernier écueil est le pont St Esprit sous lequel il faut passer avant de s'échouer en aval, entre l'Île St Bernard et la rive.

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Depuis le Moyen-Âge, l'exploitation et le flottage des pins servait uniquement aux chantiers navals et à la construction des navires. Avec l'industrialisation à partir milieu du XIXe siècle, la construction des bateaux en bois va décliner. Mais un nouveau débouché va s'ouvrir pour les pins : ils vont devenir "poteaux de mines" et servir à étayer les galeries souterraines. Ils seront surtout exportés vers les mines anglaises.

De 1920 à 1930, quatre ou cinq équipes de radeleurs exerçaient leur métier sur l'Adour. En 1935, il n'y en avait plus qu'une. À Orist, on se souvient encore des derniers convois qui furent organisés dans les années 1950.

 

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