Pierre NAUTON TRUQUEZ

epuis plus d’un siècle le nom de Nauton-Truquez est devenu un mot du langage courant à Peyrehorade en particulier et dans le pays d’Orthe en général. Simplement parce qu’une place et un hospice portent ce nom. La première, sur laquelle fut un temps implantée la Poste était, avant l'omnipotence de l'automobile, la part "verte" du marché de Peyrehorade où se retrouvaient selon les saisons, les plants, les arbres et arbustes, les fleurs et les légumes.
Le second parce que l'établissement finit par rallier pratiquement tout ce que les villages environnants comptent de seniors.
Il n’existe plus personne pour se souvenir que la place en question était la
place d’Agor et la propriété
le Clos Lévy, où sont implantés l’hospice - devenu depuis 1982 la Maison de Retraite Nauton-Truquez - et les foyers-logements construits sur le même terrain.
Quant à savoir de façon précise qui était donc ce personnage que la commune du chef-lieu de canton voulait honorer de la sorte, il ne faudra pas trop y compter. Car il faut dire que notre homme, s’il est né à Peyrehorade, n’y séjourna que très peu et les édiles locales ne redécouvriront vraiment son existence qu’à son décès qui dévoilait une rondelette donation à la collectivité.
Même quelques érudits se sont laissé abuser, cherchant à Peyrehorade la naissance d’un Nauton ou d’un Nauton-Truquez. La réalité est plus prosaïque.

Pierre Truquez est bien né à Peyrehorade le 21 juin 1801. Il suffisait de se pencher sur l’acte de mariage de ses parents, Jean Truquez et Jeanne Montagut, le 3 septembre 1798 pour s’apercevoir que le grand-père de Pierre (décédé depuis dix ans au moment de ce mariage), est bien porté sur ce document “feu Jean Truquez dit Nauton”. En remontant  cette ascendance des Truquez, dont tous, jusqu’à Joseph, le trisaïeul de Pierre, sont nés à Pouillon, on constate à la lecture des actes que, comme très souvent, le nom du lieu-dit où ils font souche, est la plupart du temps accollé au patronyme (1). Déjà l’arrière grand-père est prénommé Pierre. Mais il semblerait que ce soit lui le premier qui  sera dit “Nauton”. Il vient épouser en ce lieu Jeanne Maisonnave qui est, elle-même née à Nauton. Pierre, l’aïeul est vraisemblablement originaire du lieu-dit... “Truquès” où va se développer cette famille pendant tout le XVIIIe siècle.

 

Photographie de Nauton Truquez en grand format, à l'Hospice

Photo ©Paul Ostarena


Cette “appellation d’origine” éclaircie,  les éléments restent maigres qui nous permettront de suivre le parcours de Pierre Nauton Truquez tout au long de ce XIXe siècle. Il est le second d’une fratrie qui compte deux autres frères et deux sœurs. Jeanne (1801-1803), sa sœur née un an avant lui, décède en bas-âge lui laissant ainsi le statut d’aîné.
Pierre et Félix Jacques (1810-1877), le cadet de la famille, sont portés “célibataire” sur leur acte de décès. L’acte de décès de Jean (1805-1881) ne porte aucune mention. Mais on peut supposer qu’il ait été lui aussi sans descendance directe puisque le règlement de l’héritage de Pierre se fera  avec  les descendants de Jeanne, née en 1803.
Jeanne se marie le 19 janvier 1831 à Peyrehorade avec Marc Lissague, lui-même né à Peyrehorade le 11 août 1801, de Bernard Lissague et Jeanne Junca. Le couple a deux enfants, Pierre, né vers 1834 et une fille, Jeanne Henriette, née le 28 janvier 1832. Nous n’avons pas encore poussé de recherches dans la direction de Pierre, mais on peut raisonnablement penser qu’en 1877, au moment où s’ouvre la succession de son oncle Pierre Nauton-Truquez, il est décédé et sans descendance puisqu’il n’est pas mentionné dans ladite succession. Jeanne Henriette, de son côté, se marie à Peyrehorade le 26 avril 1855 avec Bertrand Martial Willemain, marchand épicier à Aire sur l’Adour où il est né le 1er juillet 1830, de Jean Willemain, boulanger, et de Catherine Lamarque. Le couple s’installe dans cette ville dont Bertrand Martial occupera même le poste de maire de juillet 1879 à mai 1884.


Le patronyme Willemain ne puise pas ses origines dans notre région mais plutôt dans le nord de la France où il est répandu. En fait, l’acte de mariage des parents de Bertrand Martial nous apprend que le grand-père de celui-ci, Adolphe est gendarme. C’est donc vraisemblablement les aléas des affectations militaires qui, comme ce sera le cas pour François Baco plus tard, vont déterminer un point de chute à partir duquel il sera fait souche.


Dans la canne à sucre ?

 

Par divers échanges de courriers relatifs à la succession, il nous est seulement possible de savoir que Pierre Nauton-Truquez, va suivre les traces de son père dans le négoce.
Très jeune, il va partir pour l’Île Maurice où, au fil des années, il va constituer sa fortune dans la canne à sucre. Nous retrouvons la trace du passage d’un dénommé Truquez, “propriétaire à Maurice”, sur le navire “Les Quatre Sœurs” entre St Denis de La Réunion et l’Île Maurice, le 4 mars 1820. S’agit-il de Pierre qui n’aurait donc à ce moment-là que 19 ans ou bien de son père qui aurait déjà tenté l’aventure de planteur ?

 

Des Portugais aux Anglais

Déjà connue dès le Moyen-Âge par les navigateurs arabes, l’île est “découverte” par les Portugais en 1502. Après avoir été succinctement décrite, l’Île aux Cygnes, comme ils l’ont baptisée, restera pratiquement déserte pendant encore un siècle. En 1598, les Hollandais en prennent possession et la nomment “Mauricius”. Mais une fois encore, la colonisation reste anecdotique et les Hollandais finiront par quitter définitivement l’île en 1711. Non sans avoir fait d’énormes dégâts à la flore et à la faune ( c’est dans cette période que se situe la disparition du “dodo”, espèce unique et particulière de ce biotope qui aura fini en partie dans les assiettes des marins et pour l’autre part, face à l’assaut des espèces animales introduites (puis laissées) tant par les Portugais que par les Hollandais ( porcs, chèvres, chiens et... rats).
En 1715, les Français à leur tour, prennent possession de l’île Maurice. Elle devient alors “l’Isle de France”. Cette fois, la colonisation aura une réalité physique. Des soldats, des colons, femmes et enfants arrivent sur l’île qui devient rapidement un enjeu stratégique sur la Route des Indes. C’est tout au long de ce XVIIIe siècle que sont construites les principales infrastructures, dont le port, et que s’impose une influence française que la colonisation anglaise qui débutera en 1810, n’altérera que très peu.
Aujourd’hui encore si l’on se penche sur la carte, on est étonné de voir par exemple s’imposer encore des villages comme Jurançon, Souillac ou bien Verdun. Et la rivière des Anguilles continue de couler à l’Île Maurice.

 

Du café à la canne à sucre


Au XVIIIe siècle, on y cultive déjà la canne à sucre, le coton et le tabac, mais surtout le café. La ville de Moka témoigne de cette activité. Mais, les deux ouragans de 1803 et 1807 qui ravagent presque complètement les plantations, vont signer l’abandon de cette culture.
La canne à sucre, elle, a parfaitement résisté. Son développement va se poursuivre jusqu’à nos jours où elle périclite pour ne représenter aujourd'hui que 5% du produit intérieur brut de l’Île Maurice, indépendante depuis 1968.
C’est à ce contexte de plein essor de cette production que vient “se frotter” Pierre Nauton-Truquez.
Étant resté célibataire, nul acte ne vient émailler, comme pour beaucoup d’autres colons ses séjours à Mauricius, le nouveau nom rendu par les Anglais.
Mais quelques archives (que nous devons de connaître grâce à l'obligeance de M. Henri MAUREL, natif de l'Île Maurice ayant effectué un vaste travail de recherche sur son histoire que l'on peut retrouver ICI ) nous apprennent qu’en plus des plantations, il devient propriétaire de 1845 à 1855 de la sucrerie de Mont Fernand (ou Mont Eulalie) puis, de 1856 à 1858, de la sucrerie Constance Manès ou BELLEVUE. La lecture attentive de ces registres du "Domaine sucrier" laisse à penser que pour la première acquisition au Mont Fernand, il soit associé à John Clifford. Est-là "l'ami américain" dont les descendants de Pierre Nauton Truquez parlent, des années après sa disparition ?
C’est vraisemblablement l’âge qui le ramène, fortune faite, à Paris où il réside. Bien lui en a pris car le marché de la canne à sucre s’effondre entre 1865 et 1870, ruinant beaucoup de petits planteurs.
Fixé donc à Paris, il fait des séjours à Peyrehorade, notamment dans la maison de famille à l’angle de rue Ste Catherine et de la place d’Agor, propriété qui sera vendue par les successeurs de Pierre Nauton-Truquez à la commune de Peyrehorade pour y édifier l’école maternelle et une salle des Fêtes qui sera utilisée jusque dans les années Cinquante.


La fortune de Nauton-Truquez


À son décès, en 1877 la fortune de Pierre Nauton-Truquez est estimée à 1.117.000 francs de 1881. Par comparaison, le budget national affecté en 1878 aux Monuments historiques s’élève à 1,35 millions de francs.
Cette succession se décompose en 2266 obligations diverses ( pour la plupart dans les Chemins de Fer de toutes les régions et de l’étranger), de rentes à rapport de l’État français, d’argent comptant et aussi de nombreuses propriétés.
Outre la maison familiale de la Place d’Agos, il possède aussi la maison “Artouran” à Peyrehorade, deux métairies à Pouillon, une maison au Faubourg du Nord à Aire sur l’Adour, une métairie à Bernède dans le Gers, la métairie “Bousquet” à Corneillan dans le Gers et aussi d’autres métairies dans ce département à Saint Germet, à Gec-Rivière et à Corneillan.


Le legs Nauton Truquez


Tout cela va permettre à Pierre Nauton Truquez, quelques mois avant sa mort, de doter la commune de Peyrehorade au travers d’un testament dans lequel il déclare :
“[…]
Je lègue à la ville de Peyrehorade, département des Landes, trente mille francs de rente annuelle, à la charge par ladite ville  de fonder et entretenir à perpétuité un hospice pour les malades pauvres et un asile pour les vieillards ; hommes et femmes habitants de la ville et du canton de Peyrehorade, et au besoin, les  étrangers à la localité devront être admis à l’asile, à l’hospice toutes les fois que la situation financière le permettra.
Aussitôt après  l’acceptation de ce legs par la municipalité de ladite ville, elle formera une commission composée du maire, des adjoints, du curé-doyen, du vicaire, du juge de paix, du percepteur, d’un ou deux médecins ( ce dernier et les deux médecins seront élus par la municipalité).
Ladite commission s’occupera d’abord des constructions et, lorsqu’elles seront terminées et appropriées à leur destination : hospice et asile, l’établissement sera administré par les membres de ladite commission et la direction en sera confiée à des sœurs de charité, prises dans une communauté au choix des dits membres.
En outre, ladite ville sera chargée de payer sur ce loyer:
1- Une rente annuelle de mille francs à la caisse de bienfaisance pour les pauvres;
2- Une rente annuelle de deux cents francs à la société de secours mutuel;
3- Une autre rente annuelle suffisante pour donner, chaque année, des prix aux meilleurs élève de cette école qui seront nommés au concours pour faire leurs études, soit à l’école vétérinaire, soit à l’école des arts et métiers, soit au collège de Dax, selon leurs aptitudes et la convenance des familles. La durée des études ne dépassera pas quatre années. Toutefois, deux nouveaux boursiers, au plus seront nommés chaque année, de manière que la ville aura à entretenir quatre élèves la deuxième année, six la troisième et huit à compter de la quatrième.
Ladite ville aura encore à prendre, sur ledit legs, la subvention nécessaire pour adjoindre un assistant à l’instituteur de son école, pour faire une classe spéciale, aux élèves âgés de douze ans au moins, afin qu’ils puissent se présenter au concours mentionné ci-dessus et acquérir les connaissances nécessaires pour être admis auxdites écoles professionnelles ou au collège
[…]”

 



Ci-contre, le tombeau de la famille Nauton Truquez au cimetière de Peyrehorade.

 

 

 

Ce legs, remanié trois fois sur une courte période, généra surtout une réticence des héritiers de Pierre Nauton-Truquez à l’accepter en l’état. Un procès les opposa à la municipalité de Peyrehorade pendant plusieurs années. La commune eut gain de cause et, par délibération du 1er septembre 1882, le conseil municipal décida d’acquérir le terrain dit “Enclos Levy” pour la somme de 22.000 francs et accepta l’avant-projet de la construction à y établir,dressé par M. Ricard, architecte à Dax. L’avant-projet étant chiffré pour un montant de 54.500 francs.