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ous présentons dans cette page un extrait des textes en cours de publication dans notre revue "Orthenses", que nous devons au très regretté Robert Martin sous la plume de "Jantelin de Leus Auques". L'ensemble de cette fresque pleine de gouaille et de verve nous entraîne à une découverte minutieuse et malicieuse de Sordes et des Sordians, de leur grandeur comme de leurs travers et de leurs misères. Critique, sans complaisance mais aussi, sans une once de méchanceté.

Nous avons inséré ici des extraits de cette promenade historique parce qu'ils s'attachent à relater moult détails de boires et déboires  entraînés par le passage des pèlerins de Compostelle.

Non sans garder à l'esprit que si nous trouvons du plaisir à suivre Jantelin dans cette plaisante description, les bases irréfutables sur lesquelle il s'appuie et l'érudition historique de R. Martin sur son pays, sont certaines.

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La Caverie de Barrat de Bie

La ferme de Barat-de-Bie, abandonnée, est le dernier vestige du hameau de La Hitte (ou Lafitte) à Misson. Une porte murée, voûtée en anse de panier, témoigne de sa relative vétusté.
La critique des textes anciens suggère que cette propriété était une "caverie". Le sens de ce mot ne concerne en rien une exploitation viticole, ou une cave. Il vient du latin "caver" qui veut dire "garder". Au plus bas de l’échelle hiérarchique de la petite noblesse locale, le "domenger" était responsable d’une seule exploitation, une "domendjadure". Ce pourrait être l’équivalent d’un "capcasal", d’un domaine libre avec droit de colombier, de trottoir pavé sur la devanture de la demeure et "droit de pin franc". Le seigneur "cavier" était d’un échelon supérieur.

 

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Il devait être chevalier (miles) et posséder non plus un, mais deux domaines. Il semble bien qu’il y ait eu à Misson deux hameaux : Misson Suzon (de haut) près de la ferme de Larroque et Misson Juson (de bas) à Barat-de-Bie. Civilement, il ne participait pas au pouvoir du prince. S’il était convoqué obligatoirement aux trois cours annuelles du vicomte, il ne possédait qu’un droit de "basse justice" dans son domaine. Il n’arbitrait que les affaires minimes, des petites querelles, des contestations de limites de propriété, des saisies de bétail ou des dettes mineures. S’il rendait justice, il ne pouvait l’exercer qu’après avoir engagé pour la circonstance un huissier ou "sergent" assermenté. Vous avez encore le temps d’aller jusqu’au Rolandet, le rocher de La Toumbe, ainsi nommé dans une charte de 1146, distant de moins d’un kilomètre (en partie avec voiture).
En descendant dans la plaine, la première boucle du fleuve aurait abrité jadis le "port de Tilh". Il semblerait, en réalité, que le port de ce nom ait été sur le Gave de Pau, à Saint-Cricq.

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Par contre, le terrier de Sordes en 1656 semble confirmer l’existence d’un port en cet endroit. Il cite là une maison appelée "Pornau" (port neuf) et une parcelle de terre dite "de Bonnehavre". Le nom de Tilh évoque clairement les "tilholes", les longues et fines pirogues creusées dans des troncs d’arbre, pointues à l’avant, arrondies à l’arrière. Vous pourrez en voir un exemplaire rarissime au musée de l’abbaye d’Arthous.

 

 

 

Sceau de l'Abbé de Sordes

Raymond Arnaud,

en 1290

Les Horribles Méfaits des Sordians

Par malheur, les horribles méfaits des Sordians au XIIIe siècle ont été écrits par le moine Aimery Picaud de Parthenay dans le "Guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle" : "[…] le chemin de Saint-Jacques croise deux fleuves qui coulent près du village de Saint-Jean de Sordes, l’un à droite, l’autre à gauche. L’un s’appelle gave, l’autre fleuve. Il est impossible de les traverser autrement qu’en barque. Maudits soient leurs bateliers ! En effet, quoique ces fleuves soient tout à fait étroits, ces gens ont cependant coutume d’exiger de chaque homme qu’ils font passer de l’autre côté, aussi bien du pauvre que du riche, une pièce de monnaie et pour un cheval, ils en extorquent indignement par la force, quatre. Or leur bateau est petit, fait d’un seul tronc d’arbre, pouvant à peine porter les chevaux. Aussi quand on y monte, faut-il prendre bien garde de ne pas tomber à l’eau. Tu feras bien de tenir ton cheval par la bride, derrière toi, dans l’eau, hors du bateau, et de ne t’embarquer qu’avec peu de passagers, car si le bateau est trop chargé, il chavire aussitôt. Bien des fois aussi, après avoir reçu l’argent, les passeurs font monter une si grande troupe de pèlerins que le bateau se retourne et que les pèlerins sont noyés. Et alors, les bateliers se réjouissent méchamment après s’être emparés des dépouilles des morts […]"

 

 

Moulî s’ou gàbe e proucès à Pau…

Avez-vous remarqué que j’écrivais toujours le "fleuve" et non le "gave" ? Ce n’est pas sans raison. Autrefois, on prenait bien soin de distinguer le Gave de Pau du fleuve d’Oloron. Le premier est un torrent. Le second est navigable pour les petites embarcations et les trains de bois en amont de Sordes, pour les imposantes gabarres en aval de l’abbaye. Ce qui lui faisait mériter le "grade" de fleuve. En fait, l’un et l’autre sont dangereux. La pirogue glisse à vive allure. Le courant cache une branche ou un remous fatal. Les gaves sont des torrents. "Moulî s’ou gàbe e proucès à Pau, ta mau droumi, aco que cau" (moulin sur le gave et procès à Pau, voilà de quoi dormir mal). L’hiver, les eaux sont aussi basses. Qu’il prenne à Éole l’envie de souffler par l’Ouest, qu’il pleuve et que la température monte à 13 degrés, la neige fond en montagne et… du niveau le plus bas, les eaux montent. En moins de huit heures, elles inondent Sordes, Œyregave, Peyrehorade, Hastingues, tout le Val des Gaves jusqu’à Guiche et plus loin… Tous les fossés, tous les ruisseaux du Pays d’Orthe débordent.

 

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Une Voie Pavée de Légendes

Comment ne pas évoquer ici le pèlerinage vers Compostelle, le "Schan Yacoub" que les Musulmans comparaient à La Mecque ? La pérégrination vers la Galice est pavée de légendes. Elles épousent parfois l’histoire. il est bien malaisé de distinguer la vérité de l’affabulation et, plus encore, lorsque pèlerins et jongleurs l’embellissent, que moines l’enluminent et que tous dorent la légende.
Au cours de votre séjour en Orthe, au printemps ou à l’automne, peut-être rencontrerez-vous un ou une solitaire, un pèlerin allant ou revenant. De grosses et bonnes chaussures, un énorme sac à dos flambant neuf, une carte à la main. Il sait où il va. Avant le départ, il a tout lu, il connaît tout, il a tout prévu… hormis l’indifférence de ses contemporains pour les pieds qui prient. Ce sera souvent un Belge ou un Hollandais. Le pèlerinage renaît.


Coquillards, miquelots et autres romipètes.

Jadis, le pèlerin fréquentait d’impossibles chemins. Peu ou pas de ponts, ici un gué, là une inondation qui obligea à un détour, plus loin une région infestée de brigands ou en guerre, qu’il vaut mieux éviter… Avant de se lancer sur la route, les récits des Anciens, les conseils de ceux qui ont déjà fait la course, les recommandations des moines (agents de voyage) qui préconisent les étapes dans les maisons de leur Ordre. L’aventure est sur le chemin. Il conviendra de se méfier des compagnons de fortune parmi lesquels se glissent des rescapés du guet, des coupe-bourses, des femmes légères. Coquillards, miquelots et autres romipètes de Rabelais n’ont pas bonne réputation. Le chemin est jalonné de sanctuaires, attirants comme autant de phares spirituels pour l’accomplissement de vœux supplémentaires ou pour invoquer une protection particulière. Le pèlerin du Moyen-Age n’a pas de carte.

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"Bon St Jacques, pardon de n'avoir pas péché par excès de discrétion…"

Pèlerin du début

du XXe siècle.

 

 

Il parle, demande son chemin. Bien que les étapes quotidiennes de trente à cinquante kilomètres ne laissent guère le temps de musarder, la plus normale des curiosités pousse le touriste, avant la mode, dans telle cité plutôt que dans une autre. Arrivé à Dax, ira t’il directement à Sordes en passant par Pouillon, ou bien souhaitera t’il se rendre à Cagnote ?

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Et pourquoi pas à Cagnote justement ? On lui a dit que le "Saint-Denis" des vicomtes d’Orthe abritait de précieuses reliques qu’il pourra toucher en passant dessous. Il ira s’agenouiller devant la Vierge à la petite chienne, symbole de Fidélité.

 

 

 

 

 

 

 

À l'étape de Cagnotte,

Ci-contre, au bord du ruisseau, à l'ombre,

l'aire de repos.

C-dessous,

La Fontaine des Pèlerins.

Photos E. D.

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Dans l’abbatiale, il admirera la bannière de l’illustre famille vicomtale dont on lui a dit le plus grand bien et la prévenance à l’égard des pèlerins. De là, à travers vallons et bois de chênes cachant la petite métairie de "Sanjaqué", il peinera sur les pentes rudes. Son effort sera récompensé. Pourquoi l’accès sur le plateau ne porte t’il pas le nom de "Montjoie"  ? Pour la première fois de son long périple, il va découvrir, par delà l’immense plaine, la chaîne des Pyrénées et ses ports. Compostelle est juste derrière ! Seulement 900 kilomètres !

 


Quelle voie choisir ?

Peyrehorade, la cité vicomtale, force l’admiration de tous. Sa citadelle d’Aspremont, forte et altière, son château du bord de l’eau, ses églises, ses remparts et enceintes, son hôpital aux pèlerins valent le détour. Si notre pèlerin, au lieu de suivre la voie d’Antonin qui traverse les Landes en marécages, a longé la côte, ou s’il a embarqué à Plymouth et mis pied à terre à Bayonne, franchira t’il les versants escarpés des montagnes basques ? Le passage n’est pas aussi aisé qu’il y paraît. Pourquoi ne pas obliquer vers l’Est, même au prix d’un grand détour, et aller se recueillir à Sainte-Christine du Somport, à la colombe oubliée, ou à Roncevaux qui garde pieusement l’épée de Roland ? Depuis Bayonne, il remontera donc l’Adour en bateau ou empruntera la "Via Rotarum", la voie anglaise. Il se retrouvera au port de Peyrehorade encombré de tilloles et de gabarres attendant l’accostage pendant que Monseigneur le vicomte, ficelé à une grande perche pendue à la fenêtre de son nouveau château, pêche le gardon pour la plus grande joie de ses féaux sujets. De Peyrehorade s’en ira t’il à l’abbaye d’Arthous fondée par les Prémontrés en 1160 ? Les moines de son pays sont du même Ordre. Traversera t’il au plus court les Gaves Réunis dont la rive opposée est défendue par le château fort de Œyregave? A moins qu’il ne fasse un léger détour par Sordes? Ses hôtes lui ont dit que les Bénédictins y possédaient une relique de saint Jacques dont il rêve d’embrasser le tombeau à Compostelle.

 

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Le Passage à La Toumbe

La tombe. Le mot terrifiant rappelle les tristement célèbres drames et crimes dont beaucoup de Sordians ne veulent toujours pas entendre parler. Ils refusent de se souvenir de la parole du Prophète disant que ce n’est pas parce que nos parents avaient mangé des raisins verts que nous devons, nous, avoir la colique.
Remarquez que le moine poitevin parle des deux gaves : celui de Pau à Saint-Cricq et celui d’Oloron à Sordes. Moi qui suis Sordian, j’ai l’intime conviction que les malfaiteurs étaient de Saint-Cricq.

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Aimery Picaud poursuit en citant les noms des responsables de ces crimes odieux. Ces gens sont connus. Ils sont cités dans le Cartulaire de Sordes. Comme par hasard, ce recueil de chartes nous apprend qu’à la même date, au même moment, le monastère était profondément divisé, que son abbé était "chassé", "exul". Aimery réclamait qu’il soit frappé d’anathème. Curieux. Étrange coïncidence. Comme par hasard (encore !), peu de temps après, le vicomte d’Orthe signait une ordonnance de police pour protéger les pèlerins sur ses terres. Quelle que soit leur condition, mais sous réserve de porter les insignes de leur état et de pouvoir en justifier par un certificat ecclésiastique, aucune contribution de quelle que sorte que ce soit, ne pouvait leur être réclamée le long des routes. Au passage des rivières, ils devaient bénéficier du prix de faveur qui leur était accordé "de tout temps". Nul ne pouvait les forcer à faire étape en Pays d’Orthe. Et point de profit sur le pèlerin ! S’il devait payer l’hospitalité, qu’il en règle le prix conforme à l’usage, surtout pas davantage.


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Le pardon à
Nouste Daune d’Escape

Y a t’il encore un Sordian qui veut qu’on lui mette la truffe dans la bouse ? Il veut une preuve : elle est enfermée dans les archives de la Tour de Londres ; la voilà. Le désordre était tel que le roi Richard Cœur de Lion, parrain du vicomte d’Orthe, vient en janvier 1177, à la tête de son armée, mettre fin aux exactions de ces maudits bateliers. Il était obligé d’intervenir lui-même, manu militari, pour punir enfin les coupables sur le chemin sacré de Roncevaux. Au lieu de nier, de dire que le ciel est vert quand il est rouge, les Sordians feraient mieux d’élever à la Toumbe, "in memoriam" et non en expiation, un pardon à "Nouste Daune d’Escape", à Notre-Dame de la Fuite. La Vierge dominerait un groupe avec Richard Cœur de Lion, un pèlerin tenant son cheval par la bride et un passeur sur sa pirogue. Le ciseau du sculpteur ferait naître une œuvre symboliquement admirable. Les Sordians feraient preuve de leur connaissance des anciennes pratiques. Pensant aux victimes et non à leur réputation, ils rappelleraient les prières faites à la hâte par leurs ancêtres gascons ignorant le piège qu’on leur tendait en ce lieu aujourd’hui connu des pèlerins de l’Europe entière. En découvrant le guet-apens, ils recommandaient leur âme à cette Sainte Vierge oubliée, qu’ils invoquaient pour se tirer du danger au plus vite.


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les rois anglais sont ici chez eux

Pour les Orthenses, ce fut une ère de bonheur, une époque où la justice n’était pas exilée du pays, où personne ne pouvait se permettre la liberté de commettre impunément toutes sortes de meurtres, de rapines et d’homicides. Malheureusement, d’autres régions de la Gascogne n’eurent pas la même chance, si l’on en croit du moins les termes d’une lettre du Souverain Pontife au roi d’Angleterre Édouard II. Il nous faut comprendre que le sentiment de "nation française" n’était pas encore né. L’Anglais, champion de la liberté individuelle bien avant d’autres, payait en or les dommages qu’il causait. Il ne laissait pas, lui, les cartes de ses conquêtes sur les murs (comme l’ont fait les Allemands lors de la dernière guerre). De souche poitevine et descendants d’Aliénor d’Aquitaine, les rois anglais étaient chez eux. D’une main ferme, les vicomtes d’Orthe veillaient au maintien de l’ordre et de la justice, mais permettaient à leurs sujets de leur faire des procès. Depuis le XIVe siècle, les Orthenses ne chassent plus les loups et n’acceptent plus d’aller en prison sans culotte. Ce qui est, au demeurant, un spectacle regretté. Je parle de la chasse au loup, bien entendu…